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Opinion - Qui, quoi, comment: les sanctions qui pourraient farpper la classe politique libanaise

(OLJ / Par Stéphanie KHOURI, le 02 avril 2021)

Les diplomates européens, en premier lieu les Français, semblent décider à changer de méthode pour pousser les dirigeants libanais à agir. Les dernières déclarations en provenance du Quai d’Orsay sont claires : la France a souhaité faire remonter le dossier libanais au niveau européen afin d’envisager collectivement de nouvelles mesures. Paris a sollicité l’Union européenne afin « d’identifier les leviers pour renforcer les pressions sur les responsables du blocage », selon un communiqué du ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, paru lundi. Le même jour, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne se réunissaient à Bruxelles afin de se pencher sur le cas libanais. « Le service européen de l’action extérieure (service diplomatique) a été chargé d’étudier les différents moyens à disposition dans le but d’accroître la pression en vue de former un gouvernement », indique à L’Orient-Le Jour un diplomate français. Retour, en trois points, sur les enjeux de cette évolution.

Comment se prend la décision ?

Le langage à peine codé pour évoquer des sanctions à l’encontre de la classe dirigeante libanaise est de plus en plus explicite. Mais, alors que les déclarations se sont multipliées et que les menaces se précisent, le processus pourrait prendre plusieurs mois avant de se traduire de manière officielle et concrète. « L’affaire ne se règle pas en quelques semaines, le travail d’étude et de recherche lancé à Bruxelles sera suivi d’une deuxième phase d’expertise juridique » au cours de laquelle aura lieu la création d’une « base légale et d’un régime juridique adapté permettant de lister et désigner les entités ou individus à sanctionner », explique le diplomate français précité.

Les phases administrative et juridique sont suivies d’une troisième étape politique. « Une phase de recherche de consensus pour se mettre d’accord à 27 sur les différentes options », dit le diplomate. La mise en place de sanctions nécessite une décision prise à l’unanimité. Les divergences politiques ralentissent parfois l’adoption de tels dispositifs, comme dans le cas de la Turquie où les velléités de sanctions se sont un temps heurtées aux divisions internes. Mais dans le cas libanais, la phase politique ne devrait pas poser problème. Elle devrait au contraire être facilitée par le consensus diplomatique en place parmi les États membres. L’absence de réserves ou d’opposition, « la frustration largement partagée vis-à-vis de la classe politique libanaise responsable de la situation » et le fait que « tout le monde soit déterminé à travailler ensemble sur le sujet » pourraient désamorcer l’un des principaux obstacles du processus décisionnel.

Mais un autre facteur politique pourrait entrer en jeu et affecter le calendrier : l’équipe de Bruxelles dispose certes des outils nécessaires, mais elle pourrait tenter de coordonner son action avec les États-Unis. « Les sanctions européennes ne peuvent pas être imposées sans consultation avec Washington », estime Joe Macaron, analyste au centre de recherche Arab Center Washington DC. Or « la nouvelle administration américaine ne voit pas le Liban comme une priorité, et il est difficile d’imaginer une avancée de l’initiative française sans davantage de clarté sur le dossier américano-iranien », poursuit ce dernier.

 

Quel est l’objectif ?

L’objectif premier est de faire plier la classe politique libanaise en la frappant de manière indifférenciée afin de la pousser au compromis dans le but de dépasser le blocage politique. Pour cela, les possibles sanctions économiques devraient être dirigées contre des personnes et entreprises appartenant à l’ensemble du champ politique. C’est la principale différence avec les sanctions américaines portant elles exclusivement sur le camp allié au Hezbollah. De portée générale, ces sanctions pourront s’incarner de manière individuelle sous plusieurs formes, « des interdictions de voyager, des gels d’avoirs, des sanctions plus symboliques, politiques ou financières... » estime le diplomate français, pour qui il revient désormais à l’administration européenne d’établir les options les plus pertinentes.

Les sanctions ne sont qu’un outil parmi d’autres afin d’induire un changement de comportement. L’Union européenne pourrait également adopter d’autres moyens, moins classiques ou plus conciliants, afin de contraindre la classe politique libanaise à effectuer les réformes tant réclamées. D’autres leviers pourraient inclure « des démarches politiques, comme la diminution du niveau d’accès aux Européens accordé à certains politiques ou bien la réduction de certaines aides », estime le diplomate. L’ensemble pourrait s’inscrire dans le cadre d’une nouvelle stratégie globale vis-à-vis du Liban comprenant un brassage de mesures hétéroclites, « des incitations, de nouveaux compromis, ou des solutions originales », poursuit-il. Pour beaucoup, les sanctions économiques restent la seule option qui puisse encore faire bouger les choses après plus de six mois d’impasse. « À moins que la France ne prenne le risque d’imposer des sanctions à l’ensemble des politiques libanais, personne ne prendra l’initiative au sérieux », fait remarquer Joe Macaron.

Est-ce efficace ?

La politique des sanctions est peut-être nécessaire, mais elle n’est certainement pas suffisante. L’impact de ces mesures, qu’elles prennent la forme de sanctions ou d’un ensemble plus hétérogène de mesures à l’intention du corps politique libanais, reste incertain. « On l’a vu par le passé, les sanctions ne représentent pas la panacée, ni même une garantie d’amélioration de la situation », note le diplomate français. « La corruption est si profondément ancrée au Liban que des sanctions individuelles pourraient ne pas suffire », estime de son côté Joe Macaron, pour qui le précédent des sanctions américaines dirigées contre Gebran Bassil prouve que celles-ci ont pu « changer certains de ses comportements, mais n’ont pas eu de conséquences sur la formation du gouvernement ».

Les diplomates européens, en premier lieu les Français, semblent décider à changer de méthode pour pousser les dirigeants libanais à agir. Les dernières déclarations en provenance du Quai d’Orsay sont claires : la France a souhaité faire remonter le dossier libanais au niveau européen afin d’envisager collectivement de nouvelles mesures. Paris a sollicité l’Union...