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Info-Follow up- Belarus -La Biélorussie accusée d’avoir fomenté l’assassinat d’opposants

Le régime Loukachenko a, d’après les révélations d’un ex-officier  des forces spéciales, ciblé en 2012 des personnes exilées à l’étranger

(Thomas D’Istria – Le Monde – 8 Janvier 2021)

 

Selon une enquête publiée lundi 4 janvier par le site d’investigation EUobserver, Alexandre Loukachenko, président de la Biélorussie depuis vingt-six ans, aurait versé en 2012, 1,2 million d’euros sur un compte spécial pour éliminer des opposants à l’étranger. L’une de ces opérations visait à assassiner trois opposants politiques et un journaliste, exilés à l’étranger.

EUobserver, spécialisé dans la politique des institutions européennes, s’appuie sur l’enregistrement d’une conversation d’une vingtaine de minutes, durant laquelle un homme désignécomme Vadim Zaïtsev, chef du KGB, les services de sécurité biélorusses, de 2008 à 2012, discute de l’opération avec des membres d’une unité spéciale. L’enregistrement n’a pas pu être formellement authentifié, mais plusieurs sources proches de l’affaire, citées par le média bruxellois, attestent de son authenticité.

La source de cet enregistrement provient d’un homme, IgorMakar, ex-officier des forces spéciales biélorusses qui a servi dans une unité antiterroriste. A l’époque, ce dernier, qui vit caché dans un pays européen, avait transmis la bande sonore à un diplomate américain, sans la rendre publique. Peu de temps après, toutefois, les autorités allemandes avaient averti l’une des cibles que sa vie était en danger et lui avaient accordé une protection spéciale. Huit ans plus tard, M. Makar dit avoir fait parvenir ce même enregistrement à EUobserver « par solidarité avec les manifestants pro-démocratie en Biélorussie » et se déclare « prêt à témoigner devant un tribunal ».

Le 11 avril 2012, dans les locaux de l’immense bâtiment du KGB, installé sur l’avenue principale de Minsk, Vadim Zaïtsev aurait ainsi discuté des modalités des assassinats avec deux officiers appartenant au Groupe Alpha, une unité clandestine au sein des services de sécurité. Trois des cibles de l’opération, d’anciens dignitaires devenus opposants, étaient installées en Allemagne : Oleg Alkaev, un ancien directeur de prison, qui a bénéficié de la protection de la police allemande, Vladimir Borodach, un ancien colonel, et Vyacheslav Doudkine, ex-chef du service de lutte contre la corruption.

Un contexte très sensible. Le ton de la conversation a quelque chose de terriblement badin, les officiers proposant des idées, que le chef rejette ou valide. En plus de l’infiltration dans le pays européen, les participants cherchent des techniques d’élimination discrètes, afin que « personne ne pense au KGB », insiste Vadim Zaïtsev. La quatrième cible était Pavel Cheremet, un journaliste biélorusse qui habitait à l’époque à Moscou, et était déjà sous surveillance du service. « Nous allons poser [une bombe] et ainsi de suite, et ce rat sera mis en pièces : les jambes dans une direction, les bras dans l’autre », se réjouit le chef du KGB.

L’opération qui consistait à éliminer les trois opposants en Allemagne ne s’est jamais réalisée, mais Pavel Cheremet, lui, a bien été tué par l’explosion d’une voiture piégée, quatre ans plus tard, en juillet 2016, à Kiev, où il avait fini par s’exiler. La publication de la conversation des membres du KGB dans ce dossier vient aujourd’hui bouleverser les enquêtes menées sur cet assassinat, alors que jusqu’à présent, seules les pistes des services russes et ukrainiens avaient été examinées par les autorités du pays.

Ce n’est pas la première fois que les services biélorusses sont accusés d’être impliqués dans de telles opérations. En décembre 2019, un ancien membre de l’unité d’élite d’intervention rapide biélorusse SOBR avait affirmé à la chaîne allemande Deutsche Welle avoir appartenu à un « escadron de la mort » responsable du meurtre de trois opposants, en 1999, parmi lesquels l’ancien ministre de l’intérieur, Iouri Zakharenko. 

Mais cette nouvelle mise en accusation, quoique datant de 2012, tombe dans un contexte particulièrement sensible. Dans un récent article pour le centre de réflexion

Carnegie Moscou, l’analyste politique Artyom Shraibman considère que « jamais dans l’histoire moderne de la Biélorussie, les siloviki [membres des forces de sécurité] n’ont joué un rôle aussi important. (…) Leur soutien a permis au président Alexandre Loukachenko de survivre au plus fort de la crise politique qui a englouti le pays à la suite de l’élection présidentielle contestée du mois d’août. » Surtout, le contenu de l’enregistrement ainsi rapporté évoque l’organisation d’assassinats politiques dans des pays européens et vient ainsi poser la question de la sécurité des membres de l’opposition, forcés ces dernières semaines à s’exiler.

« Bien sûr, nous prenons certaines mesures pour assurer notre sécurité afin de prévenir les conséquences négatives », explique au Monde Pavel Latouchko, ancien ministre biélorusse de la culture et ex-ambassadeur à Paris, qui a rejoint le conseil de coordination de l’opposition. Dans les jours qui ont suivi et avant son départ en exil, « j’étais toujours suivi par une voiture avec des officiers en cagoule noire, vraisemblablement des officiers du KGB », affirme-t-il. Désormais installé à Varsovie, il ne fait aucun doute, selon lui, que « le KGB définit, à bien des égards, la politique intérieure et étrangère de la Biélorussie ».