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Essay - Info - Les Milices Chiites au Levant Liban - Syrie - Irak (2 Parties)

Partie 1 : le Hezbollah libanais, parrain et modèle des milices chiites en Syrie

(Par Emile Bouvier - Publié le 17/02/2020 • modifié le 21/04/2020 – Les Clés du Moyen-Orient)

 

 

Le 29 décembre 2019, une séquence de frappes aériennes américaines cible des positions de la milice chiite Ka’taib Hezbollah en Irak, tuant 25 de ses combattants et détruisant de nombreux équipements militaires. « Notre combat contre l’Amérique et ses mercenaires est maintenant ouvert à toutes les possibilités ! », déclare dans la foulée la force paramilitaire. Alors que l’Iran déplore cet acte de « terrorisme », le grand Ayatollah chiite irakien Ali al-Sistani condamne « l’atroce agression » américaine. Trois jours plus tard, le général iranien Ghassem Soleimani, parrain des milices chiites, est tué dans une frappe aérienne américaine à Bagdad aux côtés d’Abou Mehdi al-Mouhandis, homme fort des Forces de mobilisation populaire (PMF), provoquant une véritable mobilisation anti-américaine au sein des milices chiites au Levant.

De fait, depuis l’intervention militaire d’Israël au Liban le 6 juin 1982, Téhéran s’emploie à recruter, former et équiper des combattants étrangers venant d’horizons très variés (Liban, Irak, Syrie, Yémen, Afghanistan et Pakistan notamment), dont le dénominateur commun est celui de leur foi chiite et de leur loyauté vis-à-vis de l’Iran. Ces combattants ont, au fil des années, fortement accru leurs capacités opérationnelles, leur équipement et leur expertise militaire, au point d’accroître régulièrement l’attention - et la tension - des Etats-Unis et de ses alliés, notamment des Israéliens.

Qui sont ces milices chiites ? Pourquoi (et comment) se retrouvent-elles à ce point corrélées à l’Iran ? Quel est leur poids dans la balance géopolitique aujourd’hui ? C’est à ces questions que cet article s’attachera à répondre, en reconstituant la sociogenèse des milices chiites au Liban et en Syrie (première partie) ainsi qu’en Irak (deuxième partie) et partant, leur valeur dans l’équation sécuritaire et diplomatique moyen-orientale aujourd’hui.

1. Le Hezbollah, point de départ de la création des proxys chiites de l’Iran

Les guerres en Syrie et en Irak ont donné à l’Iran l’opportunité de formaliser et d’étendre les réseaux de ses milices chiites à travers le Moyen-Orient. De vastes unités paramilitaires constituées d’Irakiens, de Syriens, de Libanais, d’Afghans ou encore de Pakistanais opèrent en effet actuellement dans les différents théâtres d’opérations au sein desquels l’Iran se trouve impliqué, directement ou indirectement. Ce programme a été en très grande partie dynamisé, piloté et supervisé par Ghassem Soleimani, général de la force al-Quods du Corps des gardiens de la révolution islamique assassiné le 2 janvier par les Etats-Unis.

Ce réseau de combattants chiites n’est toutefois pas un phénomène nouveau. En effet, afin de comprendre la situation actuelle et les tenants et aboutissants des milices chiites au Levant, il est nécessaire de revenir sur les liens entre l’Iran et le Hezbollah libanais, actuellement reconnu comme organisation terroriste par les Etats-Unis, Israël, la Ligue arabe et d’autres pays. Cette proximité entre la République islamique et l’organisation libanaise date de l’intervention militaire israélienne au Liban le 6 juin 1982 qui mènera à la formation officielle du Hezbollah le 16 février 1985 - l’organisation, diffuse mais réelle, existait officieusement depuis le début des années 1980 sous l’aspect d’un conglomérat de combattants chiites ayant quitté les rangs du Parti islamique Dawa et du Mouvement chiite Amal.

L’assistance de l’Iran auprès du Hezbollah prend forme, dès le début du conflit libano-israélien, par l’arrivée de 1 500 membres de la force al-Quods dans la région de la Bekaa, à Brital, Babisheet et Ba’albek, afin d’apporter un soutien matériel aux combattants chiites libanais et les former dans le domaine du recrutement, de l’idéologique et de l’entraînement militaire; preuve de l’intérêt particulièrement appuyé de l’Iran pour le Hezbollah, les 1 500 soldats d’élite envoyés par Téhéran au Liban avaient dû être prélevés du front irakien, où l’Iran et l’Irak s’affrontaient depuis plusieurs années maintenant dans un conflit (22 septembre 1980-20 août 1988) particulièrement brutal. La relation entre l’Iran et le Hezbollah s’avérera si « intime » à partir de ce moment que certains chercheurs sont allés jusqu’à catégoriser le Hezbollah comme étant un « partenaire sur un pied d’égalité avec l’Iran plutôt qu’un proxy ».

La formation dispensée par les Gardiens de la Révolution incluait également l’acquisition de compétences spécifiques visant à conduire à bien des missions de reconnaissance, de collecte de renseignement et de mise en œuvre de plans dont l’usage des kamikazes était la clé de voûte. Dans ce cadre, l’entraînement dispensé par l’Iran au profit du Hezbollah a drastiquement accru les capacités opérationnelles du groupe, mais il a également doté l’organisation libanaise d’une expertise dont il a pu faire bénéficier d’autres groupes, à l’instar du Hamas ou du Djihad islamique palestinien. Ce modèle de « formation du formateur » est aujourd’hui à l’œuvre en Syrie, où le Hezbollah, en collaboration étroite avec les Gardiens de la révolution, s’est employé à entraîner des combattants étrangers pro-régime dans les domaines de la guérilla et de la guerre asymétrique. Les meilleurs stagiaires étaient ensuite sélectionnés pour suivre un entraînement plus poussé encore afin de produire des unités d’élites hybrides, capables de combattre avec efficacité et de façon indifférenciée des acteurs étatiques comme non-étatiques. C’est ainsi que naîtra en 2012 par exemple la milice Liwa al-Imam al-Baqir, active principalement dans la province d’Alep et le sud de la région de Palmyre.

2. Les milices chiites en Syrie

Engagé avec intensité sur de nombreux fronts en raison de sa grande efficacité, le Hezbollah a subi de lourdes pertes au combat (environ 1 600 entre 2011 et 2019 selon l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme), tant contre les groupes djihadistes que contre les mouvements rebelles syriens, jouant un rôle notable dans la défense des zones alaouites syriennes ainsi que dans celle des villes et axes stratégiques. Afin de soulager la pression sur ses effectifs, l’organisation libanaise s’est employée à recruter un nombre significatif de combattants d’origine syrienne, formant par la même occasion le « Hezbollah syrien ».

Plusieurs milices chiites irakiennes ont également été amenées à prendre part aux combats en Syrie, notamment dans la région frontalière entre l’Irak et la Syrie que délimitent les villes d’Abou Kamal et Al Qaïm dans la moyenne vallée de l’Euphrate ; c’est le cas, en particulier, de la milice Harakat al-Abdal ou encore des Kata’ib al-Imam Ali.

En dépit de certains signes ayant pu laisser penser, au fil du temps, que certaines dissensions pouvaient être à l’œuvre au sein des différents commandants des milices chiites, ces groupes ont poursuivi leur expansion et continué à coopérer étroitement entre eux, comme cela a pu se voir notamment en Syrie. Par exemple, au début de l’année 2013, la scission opérée par la milice chiite Kata’ib Sayyid al-Shuhada au détriment du Kata’ib Hezbollah (le « Hezbollah irakien »), tout comme celle opérée par le Harakat Hezbollah al-Nujaba au détriment du Asa’ib Ahl al-Haq, n’empêchera pas ces groupes de continuer à coopérer et à combattre ensemble en Syrie afin de défendre le régime de Bachar al-Assad.

En Syrie, la Liwa Abu Fadl al-Abbas a quant à elle constitué la première tentative majeure du régime de Damas de créer sa propre milice chiite, essentiellement basée sur le modèle du Hezbollah libanais, dont il a d’ailleurs reçu une assistance substantielle dans ce but. D’autres groupes chiites syriens, à l’instar de la Liwa al-Imam al-Baqir, ont également été formés avec l’appui du Hezbollah, et se sont battus aux côtés de milices chiites soutenues par l’Iran.

Le Quwet al-Shahid Muhammad Baqir al-Sadr (nom de guerre du corps expéditionnaire envoyé par l’Organisation Badr en Syrie), constitué d’Irakiens chiites, s’est quant à lui déployé à travers la Syrie afin de prêter main-forte au régime mais, surtout, mettre sur pied de nouvelles milices chiites syriennes ressemblant en tous points au Hezbollah libanais dans leur façon de fonctionner. Plusieurs milices naîtront, de fait, de cette initiative, et seront utilisées comme des forces de réaction rapide ; la Liwa al-Imam al-Hussein en est un exemple.

3. Les milices afghanes et pakistanaises en Syrie : des troupes de choc au service de Damas

Le conflit en Syrie a forcé le régime d’Assad et de Téhéran à envisager le recrutement de miliciens chiites au-delà de la simple région moyen-orientale : l’Asie, et notamment le Pakistan et l’Afghanistan, ont ainsi très vite attiré l’attention en raison des fortes communautés chiites y vivant (environ 7 millions en 2017 en Afghanistan et 30 millions au Pakistan en 2018). Les autorités iraniennes en savent quelque chose : près de 3 millions d’Afghans vivent en Iran, dont environ 950 000 qui y sont officiellement réfugiés. Cette implantation d’une forte communauté afghane sur le sol iranien a grandement facilité le recrutement de nouveaux combattants pour le front levantin.

De fait, au-delà des Libanais, des Syriens et des Irakiens, les milices chiites comptent également en leur sein de nombreux effectifs en provenance d’Afghanistan et du Pakistan. Les combattants afghans rassemblés sous la bannière de la Liwa Fatemiyoun seraient ainsi entre 10 000 et 12 000. Ils auraient été envoyés sur les fronts les plus violents, à l’instar de celui d’Alep, de Dera’a, de Damas, de Lattakié ou des monts Qalamoun. Certains rapports indiquent que la Liwa Fatemiyoun aurait subi de substantielles pertes, dont le chiffre précis n’est pas connu mais représenterait plusieurs centaines de combattants. Ces combattants afghans, Hazaras pour la plupart, sont motivés par une combinaison d’appât financier et de mobilisation religieuse ; un grand nombre a ainsi été harangué par le discours sur la protection des lieux saints du chiisme en Syrie, comme la mosquée de Sayyidah Zaynab à Damas. D’autres études montrent quant à elles que les combattants afghans ont été nombreux à être recrutés directement au sein des camps de réfugiés en Iran, où on leur promettait des documents d’identité iraniens légaux pour les membres de leur famille s’ils acceptaient d’aller en Syrie pour s’y battre.

Les Pakistanais ont quant à eux leur propre milice depuis janvier 2015, la Liwa Zaynabiyoun. Avant que cette dernière ne soit créée, les combattants pakistanais étaient intégrés, sans coordination particulière, entre les différentes milices chiites. Les premiers contingents pakistanais ont pris pied en Syrie au début de l’année 2013 et étaient originaires de la tribu chiite Turi, dans la région de Kurram, ainsi que de l’ethnie des Hazaras, dans la région de Quetta.

Des sites Internet ainsi que des pages rédigées en ourdou sur les réseaux sociaux ont été abondamment employés par la Liwa Fatemiyoun et la Liwa Zaynabiyoun afin de recruter des combattants pakistanais et prendre part au conflit en Syrie, essentiellement contre l’Etat islamique et les autres groupes extrémistes sunnites. Certains éléments prendront toutefois part à la bataille de Khasham contre les Etats-Unis et les Kurdes, le 7 février 2018, au cours de laquelle des milices chiites lanceront une attaque soudaine contre les forces spéciales américaines et les Forces démocratiques syriennes (FDS) près de la ville de Khasam, dans la région de Deir ez Zor. La riposte américaine conduira à la mort de 68 combattants chiites, selon l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme.

Partie 2 : les milices chiites, des proxys aussi bien politiques que militaires pour l’Iran

(Des zones marécageuses de la frontière irano-irakiennes aux montagnes escarpées du Liban, les milices chiites ont été de tous les combats menés directement ou indirectement par l’Iran au Moyen-Orient depuis ces trois dernières décennies au cours desquelles elles ont pu accroître leurs compétences militaires, leur habileté tactique et leur adaptabilité aux nouveaux types de conflit, asymétriques ou non.)

En Irak, la trajectoire des milices chiites à cet égard est, une fois encore, similaire à celle du Hezbollah au Liban. C’est à travers le conflit asymétrique que l’organisation libanaise s’est, dans un premier temps, le plus distinguée. Du début des années 1980 au retrait des forces israéliennes dans le sud du Liban le 25 mai 2000, même si le mouvement a connu des revers, il a souvent ciblé avec succès les forces israéliennes et leurs alliés de l’Armée du Sud-Liban (SLA). Ainsi par exemple, avant la déclaration officielle de création du Hezbollah en 1985, le groupe s’était déjà montré actif, notamment par l’attaque à la voiture piégée du quartier-général des services de renseignement et de sécurité israéliens à Tyr, le 11 novembre 1982, provoquant la mort de 75 personnes.

La situation s’est avérée similaire en Irak. Du milieu des années 1980 aux années 1990, les dissidents chiites irakiens, d’anciens captifs ayant servi comme conscrits dans l’armée de Saddam Hussein durant la guerre Iran-Irak (1980-1988), ainsi que d’autres groupes d’insurgés irakiens chiites soutenus par Téhéran, ont été placés par le Corps des gardiens de la révolution sous l’égide de l’Organisation Badr, qui s’est alors chargée de former ces nouveaux combattants et leurs futurs cadres. Comme le Hezbollah au Liban, au fil des années, le groupe a développé des compétences militaires et de l’expérience en matière de guerre asymétrique par ses différentes attaques contre les forces de sécurité de Saddam Hussein.

Au regard de la guerre Hezbollah-Israël en 2006 (12 juillet-14 août) et de l’occupation concomitante de l’Irak par les Etats-Unis de 2003 à 2011, les milices chiites ont développé des compétences militaires au fil des années, ainsi qu’un arsenal de plus en plus sophistiqué. Le 14 juillet 2006 figurera à cet égard comme une date-clé : les militants du Hezbollah ont, pour la première fois, tiré un missile sol-sol sur la corvette israélienne Hanit, provoquant d’importants dommages matériels et la mort de quatre marins. Ce savoir-faire, ainsi que les chaînes logistiques de missiles balistiques en provenance d’Iran, ont été partagés avec les Houthis au Yémen : dès 2016, ils ont par exemple tiré des missiles sol-mer sur un bâtiment de guerre américain et sol-sol sur une base saoudienne.

Au cours de la guerre contre les forces d’occupation américaines, le Kata’ib Hezbollah s’est fait une spécialité des engins explosifs improvisés améliorés que le Hezbollah avait conçus durant la guerre contre Israël en 2006. Des roquettes improvisées, baptisées « Ashtar » par les milices chiites, ont également été tirées en nombre contre les forces américaines. Au fil des années et du conflit, les milices ont développé et amélioré ces roquettes, accroissant leur portée ou renforçant l’étendue de leur impact.

L’introduction des drones dans l’espace militaire s’est avérée être l’un des nouveaux vecteurs d’accroissement des capacités opérationnelles du Hezbollah et, partant, des autres milices chiites. Initialement cantonnés à des missions de reconnaissance et de surveillance, les drones seront rapidement déployés dans le ciel d’Israël par le Hezbollah qui a d’ailleurs, à plusieurs reprises, démontré ses capacités à détourner des drones israéliens. Cette expertise, développée avec l’assistance des Gardiens de la Révolution, a été étendue et partagée très rapidement aux autres milices chiites. En 2009 par exemple, le Kataib Hezbollah est parvenu à pirater un drone américain en Irak en exploitant un système de communications non-protégé.

En combattant côte-à-côte, ces groupes se sont alimentés mutuellement en compétences et en expérience militaire, tant en matière de tactiques asymétriques que conventionnelles. Très rapidement, ces milices se sont imposées comme un redoutable outil de Téhéran en Irak et au Moyen-Orient de manière générale, conduisant ainsi l’Iran à financer, former et armer à grande échelle ces forces paramilitaires.

2. La guerre contre l’Etat islamique ou la consécration politico-militaire des milices chiites

Le conflit contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie a consacré le rôle des milices chiites et leur poids dans l’équation militaire régionale, en particulier en Irak. En effet, le rôle de ces milices dans le conflit s’est avéré à plusieurs reprises décisif comme, par exemple, lors du coup d’arrêt imposé par les milices chiites à l’Etat islamique durant le mois de juin 2014 alors que ce dernier fonçait sur Bagdad en fauchant sur son passage les forces armées régulières irakiennes. Le grand ayatollah Ali al-Sistani, leader des chiites irakiens, a en effet appelé à la mobilisation générale au début de l’été 2014 lors d’une fatwa (un décret religieux) encourageant les Irakiens à prendre les armes afin de sauver l’Irak de la menace djihadiste. Les Irakiens chiites ont alors rejoint les milices chiites déjà existantes, ainsi que d’autres créées pour l’occasion, avec l’approbation du Premier ministre de l’époque Nouri al-Maliki, qui leur a octroyé un statut semi-officiel sous l’égide des milices Hashd al-Shaabi (« Forces de mobilisation populaire », aussi traduites comme « Unités de mobilisation populaire » - PMF/PMU). L’Iran soutiendra aussitôt, de façon très substantielle, ces nouveaux contingents de miliciens chiites, qui s’imposeront rapidement comme une force militaire irremplaçable. En 2019, près d’une cinquantaine de milices chiites opérait sous la houlette des PMF.

Les milices chiites se sont en effet distinguées là où les forces de sécurité irakiennes ont déçu : alors que ces dernières se sont montrées d’emblée démotivées et peu enclines au combat, laissant ainsi le champ libre à Daech pour initier de vastes offensives dans de larges territoires, les milices chiites ont en revanche brillé par leur motivation et leur ardeur au combat. A l’automne 2017, les PMF, notamment la Saraya al-Khorasani, ont par exemple été à la pointe de l’offensive contre Daech à Hawija, reprenant le district en vingt jours (21 septembre-11 octobre 2017).

Le succès aidant, ces milices ont glané un nombre croissant de recrues et de volontaires jusqu’à devenir l’un des éléments incontournables, sinon irremplaçables, du dispositif de l’armée irakienne. Depuis 2010, les milices chiites en Irak auraient multiplié par vingt leurs effectifs : fortes de 4 000 combattants au début de la dernière décennie, les miliciens chiites seraient aujourd’hui entre 81 et 84 000 hommes. En octobre 2017, à l’issue du référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien du 25 septembre 2017, les forces de sécurité irakiennes ont initié une vaste offensive dont les milices chiites se sont avérées le réel le fer de lance, par exemple.

3. Etat des lieux actuel et perspectives

Quel que soit leur niveau d’autonomie, les milices chiites restent profondément inféodées à Téhéran. La participation des PMF à l’offensive d’octobre 2017 contre le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) n’a pas été le fait de Bagdad, mais bien de l’Iran. En effet, quelques jours avant l’offensive, le général Ghassem Soleimani s’était rendu à As Souleimaniyeh, capitale politique de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), afin de négocier avec les représentants de ce dernier le retrait des Peshmergas de l’UPK en cas d’offensive iranienne. Ce sera chose faite : sous la pression de Téhéran et l’avancée des milices chiites, les Peshmergas de l’UPK battront en retraite en bon ordre, sans pratiquement échanger un coup de feu, a contrario de ceux du Parti démocratique du Kurdistan (PDK).

Aujourd’hui, les milices chiites apparaissent, à bien des égards, comme l’incarnation de la mainmise du régime des mollahs sur l’Irak. Incontrôlables, ces milices ont pourtant fait l’objet, à plusieurs reprises, de projets de lois visant à les ramener sous l’égide de l’armée régulière irakienne. Le 26 novembre 2016 par exemple, le Parlement irakien votait une loi reconnaissant formellement les Forces de mobilisation populaire comme une branche autonome des forces de sécurité irakiennes et les autorisait à recevoir, dans ce cadre, des financements de l’Etat irakien. Toutefois, la loi requérait, en échange, que les PMF concèdent leur armement à Bagdad et abandonnent toute velléité politique.

Les PMF ne se sont pas pliées à cette loi, ni aux décrets présidentiels qui ont suivi ; et pour cause. Le gouvernement fédéral de Bagdad n’est en effet, pour le moment, pas en mesure de s’opposer militairement, ni même diplomatiquement, aux milices chiites soutenues par l’Iran. Les PMF prolifèrent donc à travers le pays et se développent tant militairement que politiquement. En septembre 2019 par exemple, les PMF auraient émis le souhait de se doter de leur propre composante aérienne militaire. Cette information, qui n’a toutefois jamais été confirmée ni réitérée, montre en revanche l’ampleur de l’autonomie et de la puissance dont disposent les PMF.

Le poids des milices chiites dans la vie politique irakienne devient également de plus en plus notable. Lors des élections parlementaires du 12 mai 2018 par exemple, les listes de deux responsables des PMF sont sorties grandes gagnantes du scrutin : l’alliance Shaairoon, dirigée par le clerc chiite et leader de la milice Saraya as-Salam, Muqtada al-Sadr, a remporté le plus de sièges (54 sur 329), suivi de l’alliance Fatah (47 sièges), dirigée quant à elle par Hadi al-Amiri, commandant de l’Organisation BADR.

Dans la perspective des prochaines élections provinciales, prévues le 21 février 2020, la fièvre politique monte au sein des milices chiites, qui se mobilisent toujours plus pour tenter de faire gagner le plus de responsables politiques issus des rangs des milices chiites. La mort du parrain de ces dernières, Ghassem Soleimani, risque toutefois de changer la donne : adoré, sinon vénéré en Iran, le défunt général iranien ne dispose pas d’un remplaçant en mesure d’assurer une parfaite continuité dans le leadership des milices chiites. Si son bras droit et frère d’arme de longue date le général Esmail Ghaani a été nommé au Téhéran au poste de Ghassem Soleimani, les incontrôlables milices chiites ne l’entendront pas nécessairement ainsi.