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Energy - Lebanon Oil & Gaz - Frontiere maritime Liban-Syrie les enjeux d'une polemique

(OLJ / Par Alexandre KHOURI, le 02 avril 2021)

Un tweet aura suffi à créer la polémique. Laury Haytayan, experte en gaz et pétrole dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, a épinglé le mardi 29 mars la signature d’un accord entre la compagnie russe Kapital et le gouvernement syrien pour l’exploration et l’exploitation du bloc syrien numéro 1 et ses gisements en Méditerranée orientale. L’experte explique, carte à l’appui, que l’accord donne un accès à une superficie couvrant ce que le Liban considère comme faisant partie de sa Zone économique exclusive (ZEE), en l’occurrence ses blocs 1 et 2. Cette nouvelle remet sur la table la question épineuse de la délimitation des frontières terrestre et maritime entre le Liban et la Syrie dans un contexte de course aux hydrocarbures dans la région levantine du bassin méditerranéen. Si le Liban a entamé depuis octobre 2020 des négociations avec Israël concernant la délimitation de leur frontière maritime, aucune initiative similaire n’est en cours avec la Syrie.

En concluant cet accord avec la compagnie russe, la Syrie cherche à se lancer dans la grande aventure gazière en Méditerranée orientale, au même titre que Chypre, Israël, l’Égypte et le Liban. Selon le contrat qu’a pu consulter L’Orient-Le Jour, la Syrie octroie à la compagnie russe des droits pour le déclenchement d’une période d’exploration de quatre ans, suivie de trois ans supplémentaires avec la possibilité de creuser un puits d’essai. Le bloc 1 syrien (voir la carte) est le fruit d’une loi syrienne qui délimite la surface de sa ZEE (dite loi 10) et vient empiéter sur ce que le Liban considère comme son territoire marin. En 2011, le Liban avait promulgué un décret afin de délimiter sa frontière maritime, document qui avait été transmis à l’ONU. Cependant, en 2014, la Syrie avait fait part aux Nations unies de son désaccord par rapport à la vision libanaise de cette frontière maritime. Entre le tracé libanais et le syrien, 750km carrés se chevauchent, ce qui pourrait donner place à un potentiel conflit juridico-politique entre les deux pays. Une commission syro-libanaise présidée par l’ancien ministre Jean Oghassabian avait été créée en 2008 afin de pouvoir discuter du tracé de cette ligne. Mais la Syrie n’a jamais désigné de son côté de représentant. « Il n’y a pas officiellement de conflit entre le Liban et la Syrie au niveau de la frontière. Il faut parler d’une divergence de points de vue qu’il faut rapprocher », soutient Diana el-Kaissy, directrice de la Lebanese Oil and Gas Initiative, une ONG travaillant sur la transparence du management des ressources pétrolifères et gazières libanaises. Elle souligne « qu’il n’est ni dans l’intérêt du Liban ni dans celui de la Syrie de faire de la surenchère sur ce dossier qui pourrait donner lieu à un litige qui prendrait des années à se régler, sans que les compagnies pétrolières puissent commencer l’exploration et l’extraction ». 

« Il y va de l’intérêt des deux parties »

Les points d’achoppement entre le Liban et la Syrie résident principalement à deux niveaux. D’abord, l’emplacement exact où le tracé devrait débuter au niveau de la côte, puisque l’embouchure dans la Méditerranée du fleuve al-Janoubi al-Kabir qui sépare le Liban et la Syrie n’est pas un point précis. Ensuite, la prise en compte ou non des îles au large de Tripoli sur la ZEE libanaise puisque celles-ci, certes non habitées, donneraient au Liban plus de profondeur à sa zone. « Il faut absolument que le Liban entame des discussions avec la Syrie à propos de cette frontière, il y va de l’intérêt des deux parties. Les entreprises de forage ne sont pas intéressées par des zones conflictuelles et finaliser un accord renforce la position commerciale des deux pays », estime pour sa part Laury Haytayan. Entre les quatre acteurs principaux dans cette zone de la Méditerranée orientale, seulement deux, le Liban et Chypre, ont ratifié la convention des Nations unies sur le droit de la mer qui précise de manière claire la façon dont les ZEE devraient être tracées. La Syrie et Israël n’étant pas signataires du texte, ils ne sont pas liés par les obligations qui en découlent. La Russie, qui a récemment multiplié les contacts avec les dirigeants libanais, pourrait jouer les médiateurs dans ce dossier. « La Russie est très intéressée par le gaz dans cette partie de la Méditerranée », dit Diana el-Kaissy.

La polémique risque en attendant de diviser un peu plus la scène politique libanaise, entre les pro et les antisyriens. Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, opposant au régime syrien, a déclaré hier que le Liban devait réagir « immédiatement » à ce qu’il décrit comme un « empiétement de 750 km carrés sur le territoire libanais » (Voir encadré). Une notification du Liban aux Nations unies pourrait entraîner un abandon des exportations par la société Kapital dans les 750 km carrés contestés entre les deux pays. Israël avait envoyé une plainte aux Nations unies en 2017 concernant les explorations par Total dans le bloc 9 libanais, contesté par l’État hébreu, qui avait contraint la compagnie à ne pas s’aventurer dans la zone disputée entre les deux pays.

S’il est clair que le Liban est en retard dans la course aux hydrocarbures, tout comme la Syrie, la priorité reste, selon les experts, de délimiter la frontière maritime sud avec Israël. « Pour le timing, il faut tout faire pour arrêter les Israéliens dans l’exploitation des forages dans le sud du pays sans accord préalable avec le Liban. Les explorations par la Syrie dans le bloc 1 prendront des années avant de porter leurs fruits, tandis que la pression est bien plus élevée avec Israël qui pourrait commencer l’extraction en 2022. »